Comprendre ce qu'est le bruit dans une image.

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Introduction
Parler du bruit dans une image me rappelle de vieux souvenirs, car au tout début de ma carrière je fus affecté, dans un laboratoire de recherche, à une équipe dénomée BNL (bas niveau de lumière) qui élaborait une caméra vidéo de vision nocturne à intensification de lumière. C'est dire que le "bruit " était une préoccupation majeure.
Cela dit, je vais essayer de vous expliquer en termes simples cette notion difficile à appréhender car je me suis rendu compte que de nombreuses inexactitudes peuvent être lues de ci de là. A trop simplifier on devient simpliste et finalement inexact.

Je sais qu'il faudra s'accrocher un peu, mais on ne peut pas simplifier davantage si l'on veut comprendre exactement ce dont il s'agit.
Il faut, pour le moins accepter que l'on ne puisse pas toujours comprendre les phénomènes compliqués sans un minimum de connaissances.
Pour ceux qui ne souhaitent pas faire l'effort de lecture, ils peuvent lire un résumé en texte approché, l'illustration et les conséquences pratiques, cela leur donnera une idée du phénomène et des éléments pratiques.
Enfin, je rappellerais aux scientifiques le caractère pédagogique dans cet l'article de vulgarisation.

Définition du bruit.
De façon rudimentaire, on peut définir le bruit comme étant une tension parasitaire qui se superpose à la tension du signal image.
Ce bruit à pour effet de dégrader la qualité de l'image en ajoutant une sorte de granulation que l'oeil perçoit davantage dans les zones sombres car sa sensibilité aux nuances n'est pas homogène entre zones claire et sombre.
Cette définition "pratique" bien qu'intéressante ne permet pas de comprendre le phénomène.
En effet, dans un système optronique (optique-électronique), dans lequel j'y incorpore l'APN, il existe différents types de bruit.

- Le bruit photonique, il est directement lié à la nature corpusculaire de la lumière.
La nature quantique de la lumière fait qu'une source lumineuse d'intensité constante produit une quantité de photons variable autour d'une valeur moyenne. Les photos reçus par un photosite de capteur suivent une loi statistique de Poisson que l'on retrouve évidemment électroniquement lors de la transmutation photon-électron (bruit poissonnien).
Ce bruit est pour le photographe le plus important car il dépend seulement de l'énergie lumineuse captée et donc photographiquement de l'exposition. Il ne dépend pas de la sensibilité (ISO).

- Le bruit thermique, c' est un bruit d'amplification dépendant de la température et du temps d'exposition.
Pour que le capteur fonctionne, on le met sous tension c'est-à-dire qu'on le polarise par une tension dite tension de décalage, ainsi appelée parce qu'elle positionne la tension du signal d'image. Les électrons ainsi générés formant le courant de polarisation ou courant d'obscurité connaissent un accroissement de leur agitation en fonction de la température (ambiance) et de la durée d'exposition (échauffement). Cette agitation répondant à la loi de Stefan-Boltzmann se traduit pas une tension parasitaire variable et présentant un aspect temporel suivant la loi statistique de Gauss (bruit gaussien).

- le bruit de lecture, il est généré par le circuit électronique d'amplification permettant d'enregistrer et de "sortir" une image visible.

Il existe d'autres bruits comme le bruit interphotosite, mais on les néglige en pratique.

Tous ces bruits élémentaires se concatènent entre eux (s'additionnent en langage simple).
Compte tenu de l'aspect stochastique (aléatoire en termes simples) du signal d'image et donc du bruit on a vu que l'on ne peut pas parler de valeur de bruit d'image mais seulement de valeur moyenne d'où la notion de rapport signal sur bruit permettant de comprendre l'importance du bruit par rapport au signal d'image.
Le bruit peut être alors perçu comme une tension parasitaire généré par les photons qui se sont écartés aléatoirement de la valeur moyenne.

Je vous propose donc une explication de la notion de bruit à partir d'une petite équation simple du premier degré représentant la tension du signal d'image, sachant qu'il s'agit tout de même d'une fonction aléatoire.

Si u est la tension du signal d'image,
d la tension décalage,
p la tension photonique (nombre d'électrons captés durant l'exposition),
o tension d'obscurité (nombre d'électrons générés pendant la durée d'exposition et compte tenu de la température),
G gain de l'amplification
g variable aléatoire gaussienne des bruit non photoniques

La tension de luminosité s'exprime par la variable aléatoire poissonnienne : X(p+o) et finalement la tension du signal d'image s'exprime par :
u = d + G. X(p+o) + g.

Par ailleurs, en photographie normale (non astronomique), les temps de pose étant très courts on peut simplifier en posant o = 0

Dès lors la valeur médiane ou valeur moyenne pondérée que l'on appelle espérance mathématique (valeur qu'on espère dans une fonction stochastique) s'exprime par :
E(u) = d + G.(p+o) = d + G.p

Compte tenu de l'irrégularité de l'apparition des photons et de leur captation, il faut tenir compte de la dispersion des valeurs de la tension photonique par rapport à l'espérance mathématique, cette dispersion se mesure par ce que l'on appelle la variance (une moyenne des carrés des écarts par rapport à la moyenne ou l'espérance) ou encore par l'écart-type (racine carrée de la variance).
Je ne donne pas ici son expression car elle est compliquée, on l'écrira simplement Var(X), et on notera qu'elle dépend de G.E(u), et donc du carré de G, si bien que lorsque le gain augmente la variance du bruit aussi.

Définition du rapport signal sur bruit
A partir de ces considérations le rapport signal sur bruit est alors défini scientifiquement par le rapport de la valeur moyenne du signal d'exposition sur la valeur de dispersion (écart-type que je note ici Et(X)),

soit : RSB = [E(u) – d]/Et(X) = G.p/Et(X)

Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, on peut admettre par approximation que le RSB varie comme l'inverse du gain c'est-à-dire que lorsque le gain augmente le RSB diminue (dans des proportions approximativement comparables).

CONSÉQUENCES PRATIQUES

Rappelons que le gain G permet de régler la sensibilité du capteur.
Rappelons que le RSB varie approximativement de façon inversement proportionnelle au gain.

D'après la formule de E(u) si on divise le temps de pose par 2 (par exemple) ou le nombre dl'ouverture par racine de 2 (un cran de plus au réglage de diaphragme) alors l'exposition est divisée par 2 et le bruit photonique est aussi divisé par 2. Donc on garde la même tension moyenne (signal d'image) en augmentant le gain par 2, mais on ne conserve pas le rapport signal sur bruit (RSB).

Ainsi on a une même expositionn du capteur dans ces trois cas suivants :

1/100 s - f/4 - 100 ISO référence
1/200 s - f/4 - 200 ISO on divise le temps d'exposition par 2 et on augment le gain de 2 fois
1/100 s - f/5,6 - 200 ISO on divise le nombre d'ouverture par 1,4 et on augment le gain de 2 fois

mais le RSB n'est pas le même du fait de la variable aléatoire et de l'écart-type.

On déduit aussi de cette formule de E(u) que plus les photosites sont grands, plus on capte de lumière (p devient grand) il y a donc moins de bruit comparé à des photosites plus petits.

On voit sur cette courbe (adaptée d'un cours à l'Ecole des Mines) que :
- le RSB est grand dans les zones lumineuses
- le RSB est petit dans les zones sombres
- a luminosité constante, le RSB diminue lorsque croît le gain

On diminue donc le bruit en augmentant le signal (la tension de luminosité) c'est-à-dire en augmentant le temps d'exposition ou en diminuant le nombre d'ouverture (ou les deux) plutôt que le gain, en termes photographiques cela signifie travailler à très faible sensibilité (ISO) et jouer sur le temps de pose ou le nombre d'ouverture.
Selon le sujet à photographier, si temps de pose et ouverture sont fixés, on détermine le minimum de sensibilité possible pour avoir une image correcte.
Un problème se pose toutefois si la scène a une forte dynamique (des zones très sombres et des zones très lumineuses). Dans ce cas, il faut choisir comment exposer correctement, c'est-à-dire quelle limite d'exposition se fixer. Personnellement je préfère ne pas cramer les zones très lumineuses (c'est une perte irrémédiable d'information) quitte à sous exposer les zones sombres (car notre œil ne perçoit pas bien les informations dans les zones très sombres alors qu'elles existent et sont récupérables visuellement) et utiliser ensuite le gain de l'amplificateur de traitement.

Enfin, à la question récurrente de savoir s'il vaut mieux monter en ISO plutôt que de prendre en faibles ISO (sous exposer) et amplifier en post-traitement il n'est pas aisé d'y répondre car cela dépend d'une part, des APN (les photos, même en Raw, ne sont pas réellement brutes, il existe des traitements internes) et d'autre part, de la chaîne de traitement et de sa capacité à l'amplification faible bruit.
Il faut faire des essais et conclure soi-même.

Illustration

Cette illustration permet de comprendre de façon simplifiée les explications données plus avant.

Imaginons que nous photographions en couleur une barre blanche sur fond noir.
La figure 1 donne l'image enregistrée par le capteur. Du fait de l'imprégnation aléatoire des photons sur le capteur (lumière incohérente) et des bruits internes on voit que la bande blanche n'est pas nette et que des éléments parasitaires sont aussi présents dans la partie noire (par dispersion et bruits internes).
Nota : j'appelle ici bruits internes les bruits qui ne sont pas photoniques.


La figure 2 donne une illustration simplifiée du phénomène afin d'en permettre sa compréhension.


Le signal global S est donc la somme du signal de la barre blanche A et celui des bruits B.

On a vu que le niveau de bruit est estimé par la variance. Pour estimer le rapport signal sur bruit (rapport des tensions) on utilise l'écart-type qui est la racine de la variance.
Soit en termes littéraires, (attention ! suivez bien) :

Le niveau de bruit se traduit par une mesure de la moyenne du carré des écarts entre le niveau de la barre blanche et la moyenne des niveaux du signal.
La valeur utilisée dans le RSB (rapport des tensions) est la racine carrée de ce qui vient d'être dit.

Simple non !

RÉSUMÉ en texte approché

Du fait de la nature corpusculaire de la lumière les photons n'arrivent pas régulièrement sur le capteur mais l'impactent de façon aléatoire selon une loi statistique (loi de Poisson) ; cela génère des irrégularités dans l'image qu'on appelle le bruit photonique.
S'ajoutent d'autres bruits dus à la température (bruit thermique) et à la lecture (bruit de circuits électroniques).

Le bruit peut être alors perçu comme une tension parasitaire générée par les photons qui se sont écartés aléatoirement de la valeur moyenne

Pour le photographe le bruit photonique est le plus important à considérer car il dépend de l'exposition à la lumière (diaphragme et durée d'ouverture).
L'ensemble de ces bruits qui constituent le bruit de l'image ne peut être quantifié de manière absolue du fait des caractéristiques aléatoires, on ne peut qu'évaluer une moyenne statistique d'où l'idée d'un rapport statistique qu'on appelle le rapport signal sur bruit RSB plus pratique.

Le bruit global apparaît davantage dans les zones sombres que dans les zones claires car dans celles-ci la luminosité étant forte qu le RSB est grand.

Lorsque la luminosité est faible, on peut augmenter la sensibilité du capteur (ISO), mais il ne s'agit en fait que d'amplifier les signaux électroniques ce qui augmente également le bruit.

Enfin, on montre mathématiquement que plus le gain est fort plus le RSB diminue c'est-à-dire que le bruit augmente, en moyenne et par approximation, du même ordre de grandeur. On en déduit que pour diminuer le bruit, le meilleur moyen consiste à capter le maximum de lumière dans la limite de saturation du capteur.
:coucou:
© Georges Jousse, 2017
Modifié en dernier par Papout le jeu. 20 juil. 2017 13:39, modifié 10 fois.
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" Ars sine scientia nihil est — Il n'y a pas d'art sans science " Jean Mignot, 1410 (architecte de cathédrales).

Re: Comprendre ce qu'est le bruit dans une image.

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=m Papout
'' ce qui se conçoit bien s'énonce clairement '' dit une maxime très classique.
Qu'il est plaisant de lire un texte scientifiquement exact énoncé avec des termes facilement compréhensibles.
Grace à toi, je vais me coucher moins C.. ce soir :super:
Mille :clap:
:chapo:
____________________________________________________________________________________________________________________
:chapo: Roland
CIBL A CRITIK : viewtopic.php?f=19&t=4938#p421918

Re: Comprendre ce qu'est le bruit dans une image.

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Merci schreko13, serge18, pour votre appréciation voire compliment.
Pour encore davantage faciliter la compréhension j'ai ajouté un paragraphe "illustration" qui permet justement d'illustrer le propos avec des images d'explication.
Bonne lecture complémentaire et encore merci.
:coucou:
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" Ars sine scientia nihil est — Il n'y a pas d'art sans science " Jean Mignot, 1410 (architecte de cathédrales).

Re: Comprendre ce qu'est le bruit dans une image.

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Merci serge18,
Merci aussi Papy, oui c'est " très technique et pointu " mais je ne vois pas comment ont peut expliquer plus simplement un phénomène extrêmement compliqué sans tomber dans le simplisme et dans les inexactitudes comme on le lit trop souvent car on lit même pire : des âneries.
Encore merci à vous, ça fait plaisir de savoir qu'il y en a qui apprécie l'effort pédagogique nécessaire à la rédaction d'un tel article.
:coucou:
Modifié en dernier par Papout le mer. 19 juil. 2017 14:26, modifié 1 fois.
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" Ars sine scientia nihil est — Il n'y a pas d'art sans science " Jean Mignot, 1410 (architecte de cathédrales).

Re: Comprendre ce qu'est le bruit dans une image.

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:coucou: Papout Georges,
C'est toujours un plaisir de découvrir, lire et appliquer tes conseils. :super:
Un grand merci pour toutes ces infos
Tite question, l'article peut-t'il sortir d'IP et être communiqué à quelques potes du cours photo Natagora en mentionnant bien entendu l'origine et l'auteur?
Et qui sait, peut-être de nouveaux membres/adhérants...
Bàt
Phil
Amitiés
Phil

Mes photos au fil du temps
Mes photos sur Flickr

Re: Comprendre ce qu'est le bruit dans une image.

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Merci ambiorix, pour ce message en forme de compliments.
Je ne vois pas d'inconvénient à un usage pédagogique et à une "sortie" extra-IP.
Je vais encore le relire car j'ai déjà apporté plusieurs corrections afin d'être toujours plus compréhensible auprès de non-scientifiques-matheux.
Donc Ok je t'informerai par MP dès qu'il sera revu (dans la journée probablement).
amitiés
:coucou:
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